Black out

Publié le par Missfeeverte

Un mois sans écrire, et pourtant il y en avait, des choses à dire!
Pas un mot, alors que dans le désordre, j'ai:
- quitté mon petit Marcory-nid douillet pour renfiler mes haillons de SDF hébergée à la bonne grâce d'amies adorables;
- été victime, comme tous les habitants de Côte d'Ivoire et de Navarre, des délestages d'électricité qui sévissent depuis début février (ce qui m'amène logiquement à l'alinéa ci-dessous...);
- expérimenté les joies des soirées à la bougie, des longues nuits d'insomnie dans une chaleur moite et étouffante, des douches dans la piscine, sous l'éclat blafard d'une lune complaisante, j'en passe et des meilleures...;
- échappé de justesse à une tentative de viol;
- déprimé, fait la taupe, fait la morte;
- passé plusieurs jours d'affilée à éplucher les journaux, fumer clope sur clope et peindre en écoutant Yodelice;
- écouté en direct de la RTI (Radio Télévision Ivoirienne) notre bien-aimé "Prési" prononcer la double dissolution du gouvernement et de la CIE (Commission Electorale Indépendante); 
- passé une nuit blanche à boire du ricard en compagnie d'un super chic type pour ensuite écumer toute la ville avec le chictype en question, à la recherche de spots à photos insolites et...refaire le monde autour d'une bière matinale dans un village de bord de lagune situé en plein coeur d'Abidjan;
- découvert que mon amoureux de quand j'étais petite (un ancien abidjanais qui plus est!!!) joue à présent les "fermiers" dans "La ferme célébrités";
- été invitée à déjeuner chez Charles Konan Banny, ancien Premier ministre de la RCI, ce qui m'a d'ailleurs valu une furieuse intoxication alimentaire, bien que j'aie par ailleurs passé un moment fort agréable ce jour-là;
- repoussé mon départ de Côte d'Ivoire d'encore un mois;
- réconcilié deux amis adorés fâchés depuis près d'un an (ne pas vendre l'oeuf avant d'avoir tué la charrue ceci dit, car la suite au prochain épisode: n'est pas Amélie Pouliche qui veut...)
- remis les pieds dans un bureau (ça ne m'était pas arrivé depuis l'an 2000!!!!!), avec des horaires et tout et tout
- etc etc, liste non exhaustive

Bon, je vais pas toutes vous les faire dans le détail, et le plus marquant reste quand même la "mini-crise" qu'on a vécue ici, qui a ravivé chez certains de mauvais souvenirs et fait monter chez d'autres un flot d'adrénaline type "J'y étais".
Cela m'a également valu d'être pour la première fois, sollicitée par mon rédac' chef en personne pour écrire un "véritable" article.
Pendant une bonne semaine, j'ai passé des heures inoubliables à faire mes revues de presse au petit rade d'en bas, laissant traîner mon oreille à l'affût de commentaires souvent croustillants, parfois alarmistes et la plupart du temps blasés.
Quand le feedback de Paris m'est revenu sous la forme d'un mail qui disait "C'est très bon", toute la pression des 3 nuits blanches passées à écrire s'est estompée sur un sourire de joie absolue, qui m'a fait oublier instantanément beaucoup des larmes que j'avais versées dernièrement...

Ma petite chronique devrait paraître dans le Afrique Magazine du mois de mars...can't wait!
J'en reproduis ici la version originale, intégrale et non deskée; ce n'est sans doute pas très pro mais je m'en fiche, j'ai quand même les droits d'auteur.
J'ajoute également une photo que j'ai récupéré sur le site Abidjan.net et qui résume fort bien la situation du pays: le peuple braille, l'autorité sourit...
Bonne lecture!


Côte d’Ivoire : 14 jours sur le fil.

 

Sale temps pour la Côte d’Ivoire en ce début d’année 2010. Si dans un premier temps la CAN éclipse toutes les préoccupations et priorités du moment, le 24 janvier, l’élimination amère des Eléphants qui avaient porté si haut les espoirs de leur nation en l’emportant par 3 buts à 1 contre le Ghana une semaine plus tôt, fait vite retomber le soufflet. La déception est si forte qu’elle en relèguerait presque au second plan l’ambiance délétère qui règne depuis quelques temps à Abidjan. Mais les problèmes laissés de côté durant ces 24 jours d’espoir fébrile refont vite surface et ce n’est pas cette fois que l’on pourra compter sur le foot pour instiller dans le cœur des Ivoiriens ce supplément de joie qui, d’ordinaire, les aide à aller de l’avant, malgré les vicissitudes du quotidien.

Les beaux panneaux publicitaires qui fleurissent un peu partout en ville, sensibilisant les habitants de la ‘’Perle des lagunes’’ à la « cohésion sociale » et au « respect des droits de l’homme pour des élections apaisées », ne trompent personne : « Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark », comme dirait un certain Hamlet…

Marches de protestation de la jeunesse du Pdci-Rda et du Rassemblement des jeunes houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rjdp), s’insurgeant contre la « caporalisation » des médias d’Etat par le clan présidentiel, durcissement des tensions générées par le scandale de la CEI cristallisé autour de la personne de Robert Beugré Mambé, avec l’inscription présumée de 429 030 personnes sur une liste électorale devenue liste à palabres, incendies à répétition sur Abidjan, tribunaux et sous-préfectures saccagés dans les terres, hausse des prix du carburant occasionnant de nombreux mécontentements au sein de la population…La liste est longue.

Le coup de grâce est porté début février, avec des délestages d’électricité annoncés pour une période allant jusqu’à la mi-mai, en raison d’une panne survenue sur l’un des groupes de la centrale thermique d’Azito, induisant un déficit de 150 Mw sur l’ensemble du réseau. La CIE (Compagnie ivoirienne d’électricité) se voit alors contrainte de procéder à des coupures régulières et intempestives, prenant de court population et opérateurs économiques qui s’en trouvent fortement pénalisés. Ces derniers fustigent la défaillance de l’Etat qui a, selon eux, fait preuve d’un total manque de prévoyance en n’investissant pas pour augmenter la capacité de production du pays. Le paradoxe est d’autant plus révoltant que depuis la présidence de Bédié, la Côte d’Ivoire exporte son électricité dans plusieurs pays de la sous-région comme le Mali ou le Burkina. Les désagréments engendrés par ces délestages, ajoutés à une ambiance déjà tendue, portent un préjudice certain à la bonne marche des affaires et pèsent lourdement sur le moral des Ivoiriens, déjà sévèrement entamé ces derniers temps.

« Vous savez, tout le monde attend les élections. Peut-être que c’est après les élections qu’on sera satisfaits en matière de courant. Même les Eléphants footballeurs semblent attendre les élections pour gagner… », plaisante un étudiant. Tout est dit…et pour cause : après un 6e ajournement desdites élections (annoncées la dernière fois pour le 29 novembre 2009, puis pour février-mars) et une demande d’extension de la période du contentieux électoral qui devait initialement prendre fin le 9 janvier, la crise de la CEI, éclatant ce même jour (le hasard fait bien les choses…) met dangereusement à mal la tenue du scrutin.

 

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Vendredi 12 février 2010 Dans l’après-midi, le message suivant commence à circuler de portable en portable : « Possibilité de remaniement ministériel. Evitez de sortir et regardez la RTI. ». Le soir même, au journal de 20 heures de la première chaîne, coup de poker en direct du « candidat du peuple » : le président Laurent Gbagbo, confirmant les rumeurs survenues dans la journée, fait savoir par une allocution officielle que, conformément aux droits que lui confère l’article 48 de la Constitution, il dissout la CEI et le gouvernement. Justification de cette dissolution : constituer un gouvernement et une CEI composés de technocrates qui ne soient plus « aux ordres des partis » mais « au service des Ivoiriens ». Le Premier ministre Guillaume Soro, reconduit dans ses fonctions, devra effectuer son remaniement dans le week-end, et recomposer la CEI dans les 7 jours à venir.

Stupeur générale dans les rangs. Pour certains rien d’étonnant : il s’agit simplement d’un acte d’audace, comparable à ceux auxquels le Président a habitué les Ivoiriens depuis 2002. Pour d’autres, peu importe, tant que cela permet d’aller plus vite aux élections. Beaucoup néanmoins voient dans ce qu’ils qualifient de « hold-up électoral » une dangereuse atteinte à l’APO (Accord politique de Ouagadougou) et au processus de sortie de crise, doublé d’une tentative ouverte de boycott du pouvoir par le clan présidentiel.

Pour l’opposition, c’est la provocation de trop. La réaction ne se fait pas attendre : les barons du Rhdp (Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix) qualifient ces décisions d’« antidémocratiques » et relevant du « coup d’Etat politique et institutionnel ».

Le soir, les noctambules du week-end sont moitié moins à se presser dans leurs bars et restaurants habituels et, dès le lendemain, les langues se délient autour du café matinal : « Tu croyais que moi j’allais sortir hier soir ? Oh mais qui est fou ?! ». Un peu plus loin, les titrologues s’attroupent encore plus fébrilement que d’habitude autour des quotidiens punaisés sur les panneaux de contreplaqué des kiosques de rue, chacun commentant l‘actualité en fonction de sa chapelle politique : « Tchié ! Koudou Laurent a perdu la tête ! Il a déchiré Ouaga !!»,« Mais c’est quoi même il allait faire puisqu’à Ouaga là-bas, ça n’a rien donné ? »,« Je dis : avec ça, Woody-là a définitivement perdu le Nord. C’est maintenant on va voir si l’opposition en a dans le pantalon ! ».

S’exprimant par la voix du président du Directoire du Rhdp, Alphonse Djédjé Mady, cette dernière produit le jour même une virulente déclaration dans laquelle elle dit ne plus reconnaître Laurent Gbagbo comme chef de l’Etat, et appelle ses militants au soulèvement populaire contre le régime en place.

Le bras de fer est engagé, et ce premier week-end de vide institutionnel se déroule dans un grand roulement de tambour : la Côte d’Ivoire toute entière retient son souffle, mais comme l’on pouvait légitimement s’y attendre, le lundi 15 février prolonge encore le suspense, puisque Guillaume Soro, en pleines consultations pour la constitution du nouveau gouvernement, annonce que celui-ci ne sera pas connu avant la fin de la semaine.

La population est sur les nerfs. Des manifestations éclatent un peu partout à Abidjan et dans les villes de l’intérieur tandis que les messages d’alerte des sociétés de sécurité saturent les messageries des portables : « Abobo, Yopougon, Anyama, quartier Port Bouët 2, manifestations. Evitez le secteur. », « Manifestations boulevard Valery Giscard d’Estaing, avenue Yamousso et pont de Gaulle. Evitez ce secteur. » et ainsi de suite.

En zone 4, on commence à faire des provisions « juste en cas », même si le niveau d’alerte n’est pas comparable à 2004 : « Cette fois c’est entre eux que ça se passe ; nous n’avons rien à voir là-dedans. », commente un jeune expatrié français. « S’il y avait réellement quelque chose à craindre, ce serait davantage les dommages collatéraux dus aux casseurs…On y pense bien sûr, et la situation reste préoccupante, mais personnellement, ça ne m’empêchera pas d’aller à Bassam ce week-end ».

La confusion ambiante est encore aggravée par les services de communication respectifs de la Présidence et de la Primature qui semblent avoir du mal à accorder leurs violons : ainsi mardi 16 février, le quotidien Fraternité Matin titre t-il en une : « Gouvernement de sortie de crise : remaniement aujourd’hui à 16 heures », information démentie sur-le-champ par Méité Sindou, porte-parole de Guillaume Soro. Dans la capitale, les heures d’attentisme inquiet se vivent suspendues aux ondes de la radio et de la télé, mais c’est un deuxième coup dans l’eau : Soro poursuit ses consultations en vue de constituer un gouvernement qui respecte la clé de répartition ministérielle issue du consensus de Ouaga, tandis que Laurent Gbagbo, retiré à Yamoussoukro depuis son allocution, brille par son silence.

L’ambiance est effervescente : les deux chefs de l’exécutif donnent du grain à moudre aux Ivoiriens en annonçant qu’ils se sont mis d’accord sur l’ « ossature du nouveau gouvernement » et que le verdict définitif n’est plus qu’une question de jours. La tension est vive. Il s’agit de gagner du temps.

De son côté, l’opposition qui a, dans un premier temps, exigé la démission de Laurent Gbagbo, conditionne finalement son retour au sein du gouvernement à la réhabilitation de la CEI au format mis en place à Pretoria.

Pas de gouvernement sans opposition, pas d’opposition sans CEI : c’est la quadrature du cercle.

 

Jeudi 18 février Guillaume Soro demande un délai de 48 heures supplémentaires. Troisième coup dans l’eau. Le même jour, Mamadou Koulibaly annonce qu’il quitte la présidence d’une Assemblée nationale qui n’a de toute façon pas voix au chapitre. Les esprits s’échauffent.

« A force de crier au loup, on va finir par ne plus y croire : vous allez voir qu’ils vont nous faire le même coup pour l’annonce du nouveau gouvernement que pour les élections : report sur report. C’est tout simplement ubuesque : on n’avait déjà pas de cartes d’identité, maintenant on n’a carrément plus de gouvernement, et pendant que les gens souffrent dans la rue et que tout le pays est plongé dans le noir, ces braves messieurs jouent aux chaises musicales pour savoir qui conservera son portefeuille et tous les privilèges qui vont avec… ! », ironise un journaliste en poste à Abidjan.

Un peu partout dans le pays, les militants de l’opposition continuent de manifester pour exprimer leur mécontentement face à la « Gbagbocratie » et s’en prennent aux symboles du pouvoir en place, incendiant mairies, préfectures et sous-préfectures, sièges du FPI et même la demeure du Directeur national de campagne du Président, Issa Malick Coulibaly. Le point culminant de cette semaine de tension est atteint à Gagnoa vendredi 19 février, avec de violents affrontements entre opposants et forces de l’ordre, qui se soldent officiellement par 5 morts au sein de la population, les premiers depuis longtemps lors d’une manifestation publique. Bizarrement, ces tristes évènements ne semblent pas émouvoir l’opinion publique outre mesure : ils apparaissent davantage comme un dommage collatéral pour les uns et un mal nécessaire pour les autres, tout au plus un argument supplémentaire pour rejeter la faute sur le voisin. Le soir même, Abidjan a des airs de ville morte : pas un seul corps habillé en ville, quasiment personne dans les rues, les bars et les restaurants. Certains ont entendu dire, « de source bien informée », que mieux valait ne pas quitter la capitale ce week-end et préparer une valise, histoire de parer à toute éventualité.

Au cours de la semaine, toutes sortes de rumeurs se répandent comme traînée de poudre, alimentant les différents sons de cloche de la paranoïa ambiante : « On dit que Soro va démissionner. »,« Et bien qu’il démissionne : il n’y a que comme ça qu’il acquerra une stature d’homme d’Etat. »,« Non, lui-là l’argent a pris sa tête, on ne sait même plus pour qui il roule, et ses éléments n’ont plus confiance en lui ! ». « On dit que la Première Dame a été aperçue vendredi au salon VIP de l’aéroport Houphouët-Boigny : le Président l’enverrait en exil en Angola pour un mois. Qui a peur ? », « Et Mangou, il était bien en résidence surveillée, non ? ».

Dans le même temps, les unes des journaux de l’opposition se remplissent de J’accuse emphatiques et de gros titres accrocheurs : « La lettre de Compaoré que Gbagbo a refusé de lire », «Voici comment Gbagbo sera expulsé », « Pourquoi Soro va démissionner », « Après Dadis et Tandja, à qui le tour ? », « L’armée déclare la guerre au Rhdp », « Mangou : ‘‘Un coup d’Etat se prépare’’ », « Terreur à Korhogo et Bouaké ». Info ? Intox ? Peu importe, pourvu que l’on s’électrise et électrise.

En marge de la fièvre qui a gagné le pays depuis la double dissolution prononcée par le Président, les spectres de l’Ivoirité ont refait surface autour du contentieux électoral, à l’origine de la crise. Suite à la campagne du FPI visant à faire radier des listes électorales des citoyens à la « nationalité douteuse », plusieurs localités du centre et de l’ouest du pays ont été le siège de manifestations, saccages et incendies. C’est Sidiki Konaté, Ministre du Tourisme et de l’artisanat et porte-parole de la rébellion, qui met le feu aux poudres en prévenant contre la « rwandaisation » de la Côte d’Ivoire. Bakaya, Burkinabè d’origine installé à Abidjan, explique : « Si eux (NDLR : les Ivoiriens) là ils sortent pour manifester dans la rue, nous tout de suite on va rentrer car ils vont nous prendre à part et nous taper aussi. ». « Moi-même, jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas pu me faire enrôler », explique Koné, originaire de Ferkessédougou dans le nord du pays et gérant d’une buvette à Adjamé. « Ils disent c’est les timbres qui ne vont pas. La dernière fois j’arrive avec mon extrait de naissance et des timbres à 200 fcfa et on me répond que non, il faut que je retourne à Ferké prendre les timbres à 500, et là prochaine fois ils trouveront encore quelque chose qui ne va pas. Vraiment nous là avec notre peau noire, ajoute t-il en se pinçant l’avant-bras, même chez vous on va être français. Pourquoi dans notre pays là c’est si difficile ? ». A cause de la politique du « diviser pour mieux régner » sans doute…

Au chevet de cette Côte d’Ivoire en proie à des soubresauts qui ravivent chez beaucoup de monde le souvenir des années noires, toutes les voix s’élèvent à l’unisson pour en appeler à la préservation de la paix sociale et du dialogue, à commencer par Blaise Compaoré, le Facilitateur, qui joue sa crédibilité de médiateur et doit tenir compte des 3 millions de Burkinabè présents en Côte d’Ivoire, mais aussi Guillaume Soro, qui réaffirme maintes fois l’importance de rester fidèle au consensus de l’APO, Ban-Ki Moon, secrétaire général de l’ONU, par le biais de son représentant spécial, Young-Jin Choi, le Président ghanéen John Kufuor, Charles Konan Banny, ancien Premier ministre de la RCI, qui dit s’inquiéter de cette « crise de confiance », et même Barack Obama depuis sa lointaine Amérique.

Dans ce climat de crispation sociale, les difficultés économiques exacerbées rappellent douloureusement que l’accession de la Côte d’Ivoire à l’initiative PPTE, les investissements, et le retour des bailleurs de fond, sont plus que jamais conditionnés à la tenue rapide d’élections. « Nous ne pouvons pas nous payer le luxe d’élections permanentes », martèle Gnamien Konan, ancien directeur général des douanes. Et Jean-Louis Billon de renchérir : « On est le seul pays de la planète sans pièces d’identité. Si cela continue, nous aurons les pièces d’identité les plus chères au monde ! (…) A force de ne gérer que la sortie de crise, on oublie ce qui est fondamental : le bien-être des Ivoiriens. Cette crise, si nous n’en sortons pas, l’économie va s’effondrer davantage !». Et force est de reconnaître que dans ce pugilat au sommet, une fois de plus, c’est le petit peuple, la Côte d’Ivoire « d’en bas de en bas », qui sort grand perdant.

La France de son côté, a tiré les leçons de 2004 et se garde bien de toute ingérence, tandis que les instances impliquées en appellent à préserver les acquis de la liste électorale provisoire pour aller au plus vite au élections.

Mais samedi 20 février, toujours aucun gouvernement d’annoncé : les acteurs de la crise se rendent une nouvelle fois auprès du Facilitateur qui effectuera en personne le déplacement le lundi 22 février à l’occasion d’une session extraordinaire du CPC (Cadre permanent de concertation entre les acteurs politiques de l’Accord de Ouagadougou), pour rencontrer encore une fois les différentes parties prenantes au conflit, qui ne sont décidément d’accord que sur leurs désaccords.

 

Lundi 22 février  Fumée blanche au-dessus de l’hôtel Pullman : il semble que les différentes parties, sous l’égide de leur homologue burkinabè, soient parvenues à un consensus.

 

Mardi 23 février Le Secrétaire général de la Présidence, Amédée Kouassi-Blé, lit depuis le Palais présidentiel la composition (incomplète) du nouveau gouvernement :

27 ministères sous le gouvernement Soro II contre 32 sous Soro I, tous les portefeuilles stratégiques demeurant aux mains du FPI et 11 portefeuilles d’Etat restant à pourvoir, idéalement par l’opposition.

Annoncée en grande pompe, cette parodie de médiation, avec son gros nez de clown en plein milieu de la figure, n’abuse personne. Si pour certains, « la rue a fait reculer Gbagbo », cette relative victoire a quand même un goût amer : l’impression d’entourloupe est grande chez les Ivoiriens. L’exécutif a laissé en poste la plupart de ses ministres et « fait du neuf avec du vieux », et la composition de la CEI reste le point d’achoppement de ce nouveau gouvernement, l’opposition n’ayant pas la moindre intention de revenir sur ses exigences. Sur place on parle d’un gouvernement boiteux, unijambiste, « pied-cassé », un gouvernement « Akpani » (chauve-souris), suspendu à l’entrée ou non du Rhdp qui campe fermement sur ses positions, maintient son mot d’ordre de désobéissance civile et continue de mobiliser ses militants dans les rues.

 

Jeudi 25 février L’opposition et le clan présidentiel poursuivent les négociations en vue d’imposer leurs ministres. A minuit passé, à l’issue d’une âpre journée de tractations, c’est Youssouf Bakayoko, Ministre des Affaires étrangères dans le cabinet précédent et membre du Pdci, qui est élu par 19 voix sur 20 à la tête de la nouvelle CEI. Le soir même, les membres de la commission centrale de la CEI prêtent serment devant le Président du Conseil constitutionnel, Paul Yao N’Dré, qui leur rappelle qu’ils ont « une mission importante dans le processus de réconciliation nationale et de l’avènement de la paix définitive. »

 

Vendredi 26 février  Le nouveau gouvernement, bien qu’encore incomplet, tient son Conseil des ministres inaugural sous l’égide du Président Laurent Gbagbo. De son côté, le président du Directoire du Rhdp annonce que la participation de l’opposition au gouvernement est un « principe acquis », « quelques détails » restant encore à régler quant à la sélection des ministres. Le Rhdp appelle ses sympathisants à rester mobilisés mais à suspendre toutes manifestations, et présente ses condoléances aux familles des victimes. Point final à la ligne.

 

Bilan de ces deux semaines sur le fil : un gouvernement recomposé, pour sa partie non amputée, quasi à l’identique, une CEI toujours « politisée » qui retombe dans l’escarcelle de l’opposition et surtout, bien que les parties concernées crient chacune victoire et que les observateurs internationaux plébiscitent le dénouement « heureux » de cette crise, plusieurs morts…et une échéance électorale ajournée pour une énième fois.

Retour à la case départ.

 

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D’aucuns pensent que la crise qui a secoué la Côte d’Ivoire ces derniers jours aura au moins eu le mérite de donner un coup de fouet à une opposition moribonde que l’on avait fini par taxer d’« opposition de salon ». Elle aura surtout mis en exergue le fait que le « candidat du peuple » n’est en fin d’à compte pas si majoritaire que le clament les sondages : rien que sur les 10 communes d’Abidjan, seules 2 sont à affinités FPI (Cocody et Yopougon) et, selon certaines sources, Gbagbo ne pèserait pas plus de 15% de l’électorat, même à Gagnoa, son fief, où les affrontements ont été les plus violents. Les diverses manifestations ayant éclaté à Abidjan, Divo, Man, Gagnoa, Daloa, Korhogo, Bouaké, Bingerville, Bassam et un peu partout dans le pays valant pour « sondages grandeur nature », il semble que ni la répression, ni la veine populiste sur laquelle le Président sait d’ordinaire jouer avec tant d’habileté, n’aient cette fois suffi à rallier la majorité à sa cause et ramener le calme dans les esprits. Et ce n’est pas faute d’avoir sorti l’artillerie lourde pour bien rappeler au peuple son passé d’opposant, puisque vendredi 19 au soir, alors que la tension était à son comble, la RTI, faisant suite à une intervention télévisée du CEMA Philippe Mangou, a diffusé des images d’archives des marches de février 92 sur fond de chevauchée des Walkyries. Hé oui, avant d’être un tyran, Gbagbo fut un martyr : la trahison en est ressentie avec d’autant plus d’amertume par tous ceux qui se sont ralliés à lui lorsque c’était le Vieux qui tenait le rôle du « méchant ». En bon joueur de flûte de Hamelin, le « boulanger » a réussi à endormir tout un peuple ; mais aujourd’hui, ce peuple se réveille avec des contusions et commence à demander des comptes.

« Au bout de la patience il y a le ciel », dit un proverbe africain…mais la patience ne payant toujours pas après ces 5 longues années, le ciel a fini par prendre des allures d’enfer. Les Ivoiriens sont las. Certains se disent même prêts au sacrifice final si c’est là le prix à payer : « Vraiment, cet homme-là est maudit », s’indigne un chauffeur de taxi. « Il fait tout pour retarder les élections parce qu’il sait très bien qu’aujourd’hui il ne peut pas gagner : même moi si je me présente contre lui je gagne ! Il faut que la rue se soulève, et tant pis s’il y a des morts : nous sommes fatigués, ça ne peut plus durer… ». Plus cynique, son collègue tempère : « Vous savez, l’Ivoirien c’est l’argent. Nous-mêmes taxis-là quand on fait la grève, il suffit que le chef syndicaliste nous dise ‘’Laissez ça, je suis en train de négocier’’, pour qu’on recommence à rouler. Celui qui taquine fort, c’est lui-même qui va aller la nuit au Palais chercher son enveloppe. ». Et tous deux d’ajouter, concernant l’issue de la sortie de crise : « Gbagbo au départ il promettait les choses ; on était tous derrière lui, mais depuis son verbe est trop chaud et ses actions trop froides, on n’a rien vu changer, on en a marre. Il faut qu’il se résigne à la défaite. Si il laisse ça, ça va aller pour notre pays mais si il n’accepte pas, alors c’est sûr il peut envoyer la guerre… ». Pour beaucoup, la déception est manifeste, quelles que soient les affinités politiques. « On a vraiment l’impression de deux mondes qui se côtoient sans jamais se rencontrer », déplore Gustave, gérant d’un petit cybercafé. « D’un côté il y a nous, le peuple, et de l’autre ces vieux politiciens qui se battent pour le pouvoir comme des chiens pour un os, totalement insensibles aux souffrances qu’ils causent. ». « Nous aujourd’hui nous nous disons que les gens de l’opposition ne sont pas courageux » ajoute Franck, professeur de Tai kwan do. «Quand on tue leurs manifestants, il n’y a pas de suite. Nous sommes mécontents de nos leaders car ils nous laissent mourir ‘‘cadeau’’ ». 

Alors tout ça pour ça ? Les pièces de Shakespeare sont éternellement modernes parce qu’elles racontent le drame de l’hybris humaine dans des tragédies atemporelles et sans frontières…Oui, il y a quelque chose de déliquescent dans ce royaume de Côte d’Ivoire aux relens de lagune mourante ; et dans ce cas on ne peut que dire que cela aura été « Beaucoup de bruit pour rien » : à ce jour, la composition définitive du nouveau gouvernement n’est toujours pas connue. Ballets politiques et petits arrangements entre ennemis se poursuivent dans les antichambres du pouvoir, étrangement semblables au vol des chauves-souris qui quittent chaque soir l’arbre à palabres du Plateau pour migrer vers la forêt du Banco, noircissant le ciel pendant quelques instants. Pour combien de temps encore…

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